Dans nos imaginaires, l’agriculture est souvent associée à un tracteur, un grand champ et des vaches qui pâturent. Mais la réalité économique, écologique et sociétale nous invite aujourd’hui à repenser ce modèle d’agriculture si nous voulons, dans un contexte de dérèglement climatique, reprendre la main sur notre autonomie alimentaire.
Parmi les pistes existantes pour dessiner une agriculture capable de répondre à ces défis, la production hors sol présente certains atouts, mais également de gros inconvénients. Complémentaire d’autres approches, elle ne résoudra en aucun cas seule les enjeux.
Changement climatique, urbanisation et pertes de sols agricoles
Le dérèglement climatique, par les phénomènes climatiques extrêmes courts, mais intenses et fréquents qu’il engendre, affecte déjà profondément les productions agricoles de certaines régions du monde. Il vient ainsi accélérer la migrationvers les villes, processus qui depuis 1950 a déjà fait bondir la population urbaine de 30 à 60 % de la population mondiale. Cette dernière ccontinuer en outre sa progression : de 8,2 milliards de personnes aujourd’hui, elle devrait atteindre les 9,66 milliards en 2050, ce qui constitue également un défi majeur pour la sécurité alimentaire.
En parallèle, les principaux pourvoyeurs de cette dernière, à savoir les solssont également menacés.
Par l’artificialisation d’une partie, directement liée à l’urbanisation, qui se manifeste en France par la disparition annuelle de 24 000 ha d’espaces naturels ou agricoles chaque année au profit de l’urbanisation et de l’industrialisation.
Et par l’agriculture productiviste, qui contribue à affaiblir et mettre la main sur les surfaces agricoles et les espaces naturels, notamment les forêts : dans le monde, entre 43 et 45 millions d’hectares de terres ont été soumis à un accompagnement par des géants de l’agroalimentaire, des spéculateurs fonciers, des entreprises minières ou des élites ou fonctionnaires d’État, afin d’y déployer des monocultures (huile de palme en Indonésiesoja en Amazonie, cultures légumières industrielles en Europe de l’Ouest…) qui endommagent les sols, participent parfois à déforester et ne font que renforcer la dépendance alimentaire de certains territoires.
Autant de facteurs qui menacent la sécurité alimentaire, et déjà engendrent des tensions, y compris en France comme nous a pu le voir en Martinique en octobre 2024, lorsque des violences ont éclaté pour manifester contre des prix alimentaires 40 % plus élevé qu’en métropole.
Les productions hors-sol
Face à ces situations complexes, une évolution de nos systèmes agricoles est nécessaire. L’un des agrosystèmes qui ambitionne notamment répondre à la fois au manque de surfaces agricoles, aux aléas climatiques et au besoin de relocalisation est la production agricole hors-sol. Elle se caractérise par son contrôle possible de tout ou partie de l’environnement de culture (lumière, température, hygrométrie, eau, nutriments, CO, substrats/supports innovants…).
Surtout, elle facilite l’atténuation des effets du changement climatique comme la sécheresse, les inondations ou le gel tardif et est peu gourmande en eau. Certaines fermes hors-sol s’établissent dans des bâtiments réhabilités, des sous-sols ou des toits, ce qui n’occupe pas de nouvelles terres agricoles. Cette installation proche des centres-villes permet une production locale et faible en intrants, qui limite les coûts d’exportation et évite une contamination potentielle des sols.
Elle peut être intégrée à l’agriculture urbaine, périurbaine ou rurale et participer à la valorisation des friches industrielles abandonnées et/ou polluées, ou bien être incorporée au sein des exploitations comme un outil de diversification. Cela exige un contrôle parfait des paramètres physico-chimiques et biologiques de la croissance des plantes : d’abord la maîtrise des substrats, des supports de culture et de l’ancrage pour les racines ; ensuite la maîtrise de la fertilisation qui répond aux besoins nutritionnels de chaque plante.

Différents types de systèmes agricoles. 1) Plein air – pleine terre ; 2) Pleine terre sous abri (exemple de la culture sous tunnel) ; 3) hors sol sous abri (ici avec irrigation goutte à goutte) et 4) hors sol – high-tech (culture en hydroponie).
Adrien Gauthier
Hydroponie, aéroponie et aquaponie
Ces systèmes prennent trois formes principales.
La plus connue du grand public est l’hydroponie : la majorité des tomates, concombres, courgettes, salades ou encore fraises produits hors-sol, sont cultivés selon cette technique. Cette méthode apporte tous les nutriments essentiels à la plante sous forme d’un flux liquide. On distingue : la culture en eau profonde où les racines sont immergées dans de grandes quantités d’eau et de nutriments ; la table à marée, où les nutriments sont apportés deux fois par jour par un système de montée et descente de l’eau riche en sels minéraux dans le bac de culture ; ou encore le système NFT (Technique du film nutritif) dans lequel un flux continu de solution nutritive circule sans immerger complètement les racines grâce à un canal légèrement incliné, étanche et sombre.
L’aéroponie, quant à elle, est une méthode proche de l’hydroponie qui consiste à pulvériser directement sur les racines, sous forme de brouillard, les nutriments sans pesticide, adaptés à l’exigence de l’espèce cultivée. Les racines sont isolées de la canopée et placées dans des conteneurs spéciaux les maintenant dans l’obscurité. Elle optimise l’oxygénation des racines, réduit les risques de maladies et favorise le développement de la plante.
Enfin, l’aquaponie, qui combine aquaculture et hydroponie, valorise les déjections de poissons élevés en bassin (dans un local dédié) pour nourrir les plantes. En contrepartie, les plantes prélèvent les nutriments et nettoient l’eau à l’aide de bactéries. Ces dernières rendent les nutriments disponibles et assimilables par les plantes. Une parfaite harmonie et un travail d’équipe !

Différents systèmes de poneys. A. culture en eau profonde, B. Système de table à marées, C. Aéroponie, D. Aquaponie. E. le système NFT (
Adrien Gauthier, modifié d’après Rathnayake et Sharmilan, 2023
Des techniques très réfléchies
Ces techniques hors-sol sont cependant la cible de nombreuses critiques : elles produisent des fruits et légumes sans goût, qui ne voient ni le sol ni le soleil ou encore des aromatiques ou des micropousses qui « ne nourrissent pas son homme ». Cette acceptation sociale et culturelle dépend bien sûr beaucoup des pays. Alors que le hors-sol jouit d’une bonne image aux États-Unis et en Asie, les Européens se montrent plus sceptiques à l’idée de manger des fruits et légumes qui n’ont pas poussé dans du « vrai » sol.
Sur le plan économique par ailleurs, le coût d’investissement est élevé, de quelques dizaines à plusieurs centaines de milliers d’euros. Et l’autre coût majeur est énergétique – malgré des progrès, une salade cultivée en agriculture conventionnelle a tendance à avoir un impact moindre sur l’environnement qu’une salade produite toute l’année en hors-sol.
Dans ce contexte, de nombreuses entreprises high-tech qui s’étaient engouffrées dans ce modèle ont déjà mis la clé sous la porte faute de rentabilité : la start-up d’herbes aromatiques Jungle, le producteur de fraises et de salades Agricool, ou encore Infarm, qui proposait des légumes cultivés en hydroponie, n’ont pas résisté.
Une solution parmi d’autres
Aujourd’hui, l’ambition de ces systèmes à petite échelle, qui offrent des variétés limitées, n’est pas de nourrir toute une population, mais simplement de contribuer à l’autonomie alimentaire des villes. Ces nouvelles fermes ont également l’avantage pédagogique de reconnecter les citoyens à la production agricole, et d’être un support intéressant pour découvrir le cycle de vie d’une plante.
En outre, ces fermes pourraient diversifier leur activité afin de rester viables en se tournant vers la production d’aliments à destination des animaux, de plantes alternatives aux protéines animales ou encore de plantes pour l’industrie pharmaceutique (molécules à haute valeur ajoutée).
Loin de venir sonner le verre de l’agriculture traditionnelle, la production hors-sol peut en revanche additionner ses efforts à ceux de cette dernière dans la quête de l’autonomie alimentaire.
Nous tenons à remercier Alice Legrand, Lisa Ménard et Clémence Suard, étudiantes qui ont contribué à la rédaction de l’article ont apporté sur notre proposition leurs regards de jeunes agronomes.

