Fort d’une large victoire à la présidentielle, le chef de l’État ivoirien aborde les législatives avec un RHDP dominant et une opposition en ordre dispersé.
« Délègue ton pouvoir, choisis ton député », enjoint une large campagne d’affichage public dans les rues d’Abidjan. Deux mois après le scrutin présidentiel, la société ivoirienne et ses 8,7 millions d’électeurs s’apprêtent à renouveler leur Parlement. D’une échéance à l’autre, le parti d’Alassane Ouattara – le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) – part grand favori, conforté par une opposition plus clairsemée que jamais.
Malgré la promesse d’une élection apaisée, le dispositif sécuritaire déployé à l’occasion du scrutin présidentiel d’octobre est maintenu. 44 000 éléments des « forces de défense et de sécurité » seront ainsi chargés de limiter les tensions potentielles. Il faut dire que la récente réélection – avec 89% des suffrages exprimés – du président de la République pour un quatrième mandat a occasionné au moins 11 morts, plusieurs dizaines de blessés et plus de 1600 arrestations.
Car en Côte d’Ivoire, les drames des crises ont persisté. Lors des dernières législatives, en 2021, la carte électorale révélait de profondes fractures territoriales. Analysés par le laboratoire de recherche Les Afriques dans le Monde (Sciences-Po Bordeaux), les taux de participation départementaux supérieurs à 60% étaient exclusivement situés dans le septentrion ivoirien – zone dont Alassane Ouattara est originaire et où ce dernier bénéficie d’un large soutien. Au plan national, la participation s’était quant à elle limitée à 37,8%. Malgré ces antagonismes persistants, le pouvoir en place met aujourd’hui sur un ancrage parlementaire renforcé.
Deux oppositions, deux stratégies
Pour tenter de l’en empêcher, l’opposition affiche une stratégie pour le moins timide. Parti héritier de feu Félix Houphouët-Boigny, le PDCI-RDA conserve certes son rôle de première force alternative de Côte d’Ivoire. Mais la formation avance avec un effectif réduit. Après avoir annoncé 229 candidats pour briguer les 255 sièges de députés, seuls 163, retenus par la Commission électorale indépendante (CEI), seront sur la ligne de départ. La faute au paiement en temps et en heure de frais relative au dépôt de certains dossiers de candidature.
En coulisse, le PDCI-RDA continue d’être miné par une crise de leadership après que son président, Tidjane Thiam, ait été empêché de concourir à l’élection présidentielle – eu égard à sa double nationalité française (depuis abandonnée). Le financier avait été contraint de battre campagne depuis l’Europe, affirmant craindre pour sa sécurité en cas de retour au pays. Une intranquillité qui a atteint son paroxysme depuis que Soumaïla Bredoumy, le porte-parole du parti, a été écroué fin novembre par la justice ivoirienne pour « complot contre l’autorité de l’État » et dix-sept autres chefs d’inculpation.
Pour maintenir ses 68 sièges, le PDCI-RDA ne pourra plus compter sur le soutien d’un autre parti d’opposition très symbolique : le PPA-CI de l’ex président Laurent Gbagbo. Car en 2021, les deux camps avaient scellé une forme d’alliance en présentant des listes communes. Pour ce examen, le PPA-CI prend, lui, le chemin du boycott, estimant que les conditions d’un vote transparent ne sont pas réunies. Quitte à s’auto-saborder, le parti fait ici le choix de la cohérence ; celui de dénoncer avec la même ferveur « l’illégalité » de ces deux élections à quelques semaines d’intervalle. Pour rappel, le PDCI-RDA avait lui aussi opté pour un boycott en demi-teinte du scrutin présidentiel, en dénonçant jusqu’au bout du quatrième mandat et sans donner aucune consigne de vote à sa base militante.
Pour le PPA-CI, cette stratégie coïncide avec la fin de carrière de son homme fort. À 80 ans, Laurent Gbagbo, vieil éléphant du marigot ivoirien, à d’ores et déjà annoncé son retrait de la vie politique. Celui-ci devrait intervenir à l’issue du prochain congrès qui tiendra son parti, début 2026. Un pari désapprouvé par ceux qui craignent une disparition pure et simple de l’appareil. Dans les faits, une vingtaine de membres du PPA-CI ont opté pour la dissidence afin de concourir aux législatives.
Le RHDP face au défi du renouvellement
Si une telle configuration profite au camp d’Alassane Ouattara, la problématique de la fin de règne guette aussi les rangs du RHDP. Car ce mandat contesté sera aussi à l’épreuve du renouvellement. En témoigne la dépolitisation croissante des masses, signalée par des taux de participation en berne. Si « le match est déjà plié », pour reprendre l’expression d’un proche du gouvernement, certaines dynamiques semblent indiquer un besoin de renouvellement de la classe politique.
À l’instar des précédentes législatives, la tendance des prétendants sans étiquette se confirme en Côte d’Ivoire. Environ 60% des candidatures retenues par la CEI, soit plus de 660, ne sont officiellement affiliées à aucun parti. À Séguéla, dans l’Ouest, Gaoussou Fofana entend s’imposer grâce à son profil jeune et à proximité avec les fonctionnaires de l’éducation nationale. Plus au Sud, dans la circonscription de Guidiga, Kouadio Konan Léon porte la même ambition ; avec en toile de fond la promesse d’ancien un pont intergénérationnel. Un label neutre qui est parfois dévoyé à des fins politiques. À proximité de Bouaké, dans le centre, Rebecca Yao entend remporter la circonscription de Diabo sans aucun parti. Pour cette femme pourtant proche du pouvoir en place, ce pari procède exclusivement de la désignation d’un autre profil que le sien par le RHDP.
Dans les faits, le « rouleau compresseur » du parti au pouvoir reste puissant puisque ce dernier est le seul à présenter une candidature dans chacune des 205 circonscriptions. De plus, en 2021, la quasi-totalité des candidats élus en tant qu’indépendants (26 au total) sont tombés dans l’escarcelle du RHDP. L’absence d’étiquette peut ainsi apparaître comme une forme de tremplin financier dans un pays où le revenu brut de base d’un député (environ 45 0000 euros par an selon le Bureau de l’Assemblée nationale ivoirienne) reste trente-deux fois supérieur au SMIG interprofessionnel (1372 euros brut par an).
Si ces résultats législatifs promettent d’égayer Alassane Ouattara et ses plus proches soutiens, certains duels de circonscriptions connues pour leur opposition farouche seront suivis de près ; tel qu’à Yamoussoukro, la capitale, ou Yopougon, commune abidjanaise encore imprégnée par l’influence de Laurent Gbagbo. Après l’échéance, un autre moment fort devrait marquer le début de ce quinquennat décisif. Car un remaniement ministériel est attendu pour janvier. « Il n’y aura pas de renouvellement total du gouvernement, plusieurs têtes jeunes risquent même de tomber… », se risque une voix en interne. De quoi relancer l’infatigable débat de la transmission du pouvoir.

